Un peu d'histoire :
Dès la déclaration de guerre, en septembre 1939, les ressortissants des "pays ennemis" réfugiés en France furent l'objet de mesures d'internement en raison de leurs nationalités : le statut de réfugié politique ne prévaut pas alors sur le critère d'appartenance à un pays ennemi.
En France, les camps compteront jusqu'à 20000 Allemands et Autrichiens antinazis, souvent Juifs, qui ont fui le nazisme depuis 1933 (comme par exemple l'avocat Erich Cohn-Bendit - ami de la philosophe Hannah Arendt et père de Daniel Cohn-Bendit), mais qui sont considérés comme ressortissants ennemis.
Le gouvernement, et surtout l'état major français les considèrent comme dangereux. En effet, les autorités sont persuadées que la France est une forteresse imprenable de l'extérieur. Elle ne peut être déstabilisée que par l'existence d'une cinquième colonne.
"L'expression désigne tout groupe de partisans infiltrés, généralement civils, prêts à œuvrer de l'intérieur pour favoriser la victoire des forces armées traditionnelles du même camp et, plus généralement, tout groupement agissant dans l'ombre pour saper de l'intérieur une organisation ou un État." (c) Wikipedia
Un climat de suspicion s'installe alors dans le pays : les étrangers sont les premiers visés. L'état major pense qu'il y a parmi ces étrangers qui ont migré sur le territoire français, des personnes qui sont des soldats susceptibles de prendre les armes au moment de la déclaration des hostilités et ainsi constituer au cœur même de la patrie, une colonne militaire allemande capable en quelques jours, de renverser la République.
Pourtant, au camp de Meslay-du-Maine, les internés n'ont pas des profils de militaires ni d'espions. A la déclaration de guerre en 1939 jusqu'à juin 1940, il ne s’agit que d’intellectuels, d’artistes, d’hommes d’affaires, de juifs, de résistants au régime nazi, plus de 2 000 prisonniers, surtout des hommes, qui sont arrêtés en raison de leur nationalité. Ils arrivent de la région parisienne, après un passage par le centre de rassemblement de Colombes. On va alors interner l'élite intellectuelle allemande parce qu'on les considère d'abord comme des allemands ou des autrichiens sans prendre en compte le fait qu'ils soient anti-nazis, (les nazis convaincus et ceux qui étaient suspects de l'être ont été dirigés sur un département voisin !).
Compte-tenu du nombre important d'internés, ceux-ci seront répartis sur de nombreux camps. Mais il semble qu'il était important pour les autorités de l'époque de les disperser le plus possible et de les éloigner de la frontière avec l'Allemagne, d'où la répartition géographique de ces camps.
Répartition des camps d'internement en 1939, et après 1940 en zone occupée et libre
En Mayenne, plusieurs camps d'internement ont été installés dès juillet 1939 :
- Grez-en-Bouère : camp de rassemblement des nomades.
- Mayenne : camp de Guelaintin, centre de rassemblement des étrangers.
- Meslay-du-Maine : centre de rassemblement des étrangers.
- Montsûrs : camp de rassemblement des nomades.
Parmi ces personnes internées dans les camps français se trouvent de nombreux intellectuels antinazis et des Juifs qui ont fui les persécutions.
Cet afflux important de la population des camps (Les Milles, Gurs, Rivesaltes et beaucoup d'autres) est en général très mal géré ; la nation en guerre a d'autres soucis. (c) Wikipedia
Un autre camp d’internement pour sujets dits "ennemis" : Le camp des Milles
Le camp des Milles était un camp d'internement et de déportation français, ouvert en septembre 1939, dans une usine désaffectée, une tuilerie, au hameau des Milles sur le territoire de la commune d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
Entre 1939 et 1942, il a connu l'internement d’étrangers et de résistants de 38 nationalités différentes pour devenir finalement une antichambre d’Auschwitz avec la déportation de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants juifs en août et septembre 1942 dans le cadre de la Shoah.
Il est le seul grand camp français d'internement et de déportation encore intact et il est devenu accessible au public avec l'ouverture d'un Site-Mémorial sur les lieux mêmes à l'été 2012. (c) Wikipedia
Devant l’avancée allemande vers la zone libre, le camp de la Poterie, à Meslay-du-Maine, sera finalement évacué grâce à l'intervention de mon grand-père, efficacement secondé par son grand ami Chartier, le 17 juin 1940.
Il transférera ensuite les internés vers Angers, puis vers Albi. Pendant que certains seront libérés, d'autres s'engageront dans la Légion étrangère, comme le peintre Hans Hartung.
Le 17 juin 1940, les baraquements sont fermés. Le camp sera finalement ré-ouvert par les Allemands en septembre 1940 pour accueillir des prisonniers français.
Le camp des Rochères hier et aujourd'hui :
Tout le monde dans le village savait parfaitement que ce terrain était inutilisable, surtout en hiver, même pour le bétail.
Certains détenus qui avaient précédemment servi dans l'armée et se souvenaient des spécifications des camps, ont rapidement reconnu le problème.
Le sol, riche en argile, ne drainait pas l'eau et la prairie s'est donc rapidement transformée en un lac de boue dès la première pluie.
Certains se fabriquent des sortes de raquettes en bois en utilisant des boites de lait concentré pour ne pas s'enfoncer dans la boue !
Rien, sauf un fossé servant de latrines, n’avait été préparé avant l’arrivée des détenus. Lorsque la boue a finalement atteint une profondeur de vingt centimètres, aucune construction "en dur" ne devint possible. Les hommes dormaient dans des tentes peu étanches réquisitionnées auprès des forains locaux, ou des tentes de bal, souvent sans plancher, avec seulement une mince couche de paille entre eux et le sol nu qui se transformait rapidement en fumier ...
En outre, il y avait une grave pénurie d'eau potable. Chaque jour, chaque détenu avait droit à un quart de litre d'eau potable et à un autre quart pour se laver. Les moins frileux se lavent dans l'étang, là où on a encore pied.
Mon grand-père, le lieutenant Dubuc a déploré à plusieurs reprises ces conditions de vie précaires, ce qui a conduit rapidement les autorités à en décider son évacuation et son transfert vers la Cropte (camp de la Poterie).
Le camp des Rochères aujourd'hui !
Peu de traces subsistent aux Rochères, à part le château où était hébergé mon grand-père, l'étang où les internés se lavaient lorsque la météo le permettait et une petite chapelle extérieure où étaient pratiqués les offices religieux.
Transfert du camp des Rochères à la Cropte (camp de la Poterie)
Le scandale du camp des Rochères allait bientôt être révélé !
Je cite mon grand-père : "Pendant près d'un mois le terrain, piétiné par deux mille hommes, est devenu un cloaque infect. La boue, devenue ennemie numéro un du camp, envahit tout. De tous côtés, des sources surgissent. La paille des hommes devient une véritable litière. Des rats apparaissent. Les feuillées (les latrines) s'emplissent en quelques heures et menacent le camp. Laisser des hommes dans une telle situation est vraiment inhumain !"
Tout cela s'est ajouté pour créer une situation sanitaire catastrophique. La Commission (CRC) dépêchée de Paris, dont les avis étaient généralement modérés, a critiqué au plus haut degré l'assainissement à Meslay.
En particulier, ils ont signalé un incident troublant.
"Une nuit", écrit mon grand-père, "un interné tombe dans les feuillées (les latrines) ... Il en sort péniblement, lave son pantalon le lendemain et l'étend sur la haie de clôture ... On le lui vole et, depuis ce jour, constituant une équipe remarquablement unie avec un compagnon de misère, il se présente un jour sur deux sur les rangs en excusant son camarade ... Les deux hommes n'avaient plus qu'un pantalon pour deux ..."
A la suite de ce scandale et après avoir réquisitionné un nouveau site, la construction du camp définitif de la Poterie débuta et le 15 octobre 1939, le transfert des internés du camp de la Rochère vers la ferme de la Poterie à trois kilomètres de Meslay-duMaine commença.
Plan du camp de la Poterie réalisé par certains internés.
On peut y lire sur un cartouche situé dans le coin inférieur droit :
travaux d'arpentage : George Koppl, ingénieur,
travaux graphiques : Franz Reisz, peintre artistique,
en collaboration avec Harry Kriszhaber et Erich Schimmerl - 1940)
Durant son séjour à Meslay-du-Maine, mon grand-père a tout d'abord été hébergé dans une chambre donnant sur le camp, au château des Rochères, puis, lorsque le camp a été transféré à la ferme de la Poterie, il logea chez la famille Brecheteau, à "La Tête Noire", un café / épicerie / charcuterie du centre du village, sur la route de Laval, à gauche sur cette carte postale ancienne.
Aménagement de la ferme de la Poterie
475 internés furent installés à la ferme de la Poterie, dans des bâtiments en dur.
La ferme de la Poterie
Les bâtiments de la ferme de la Poterie existent encore de nos jours, bien que plus aucune trace du camp ne subsiste.
Les baraques en bois
12 baraques ont également été construites permettant de loger 1500 internés, ainsi que la construction d'un réseau de fil de fer barbelés. Un lieutenant du 2ème Génie en assura la direction.
La promiscuité
Dans les baraques en bois, un espace de 0,80m x 2m est réservé à chaque interné, avec ses affaires ...
Gennes-Longuefuye / la gare de Meslay-du-Maine
Les prestataires dépendant du camp de Meslay-du-Maine ont travaillé sur le chantier du camp annexe de Gennes-Longuefuye (construction du parc des alcools pour le service des poudres).
Certains prestataires Autrichiens affectés à ce camp maitrisaient parfaitement la pose des rivets à chaud sur les futs.
Vers la fin mai 1940, quelques incidents eurent lieu sur site des chantiers du camp annexe de Gennes-Longuefuye.
Des propos défaitistes, voire favorables à l'Allemagne avaient été tenus en public.
Mon grand-père, après en avoir référé au Commissaire Spécial et au Colonel Commandant la Subdivision, fit porter à la connaissance des prestataires de Gennes-Longuefuye, un avis sévère avec des menaces de sanctions disciplinaires à l'encontre de ceux qui avaient cessé le travail.
La proximité relative (4 km du camp des Rochères et 5 km de la Poterie) de la gare de Meslay-du-Maine (aujourd'hui désaffectée) permettait le transfert des hommes et du matériel vers les camps.
Cependant, l'arrivée en gare du charbon posa presque toujours des problèmes, surtout lorsque les voies d'acheminement étaient verglacées l'hiver. Il fallut donc recourir à des solutions dont la régularité administrative laissait à désirer : on fit appel à un commerçant local qui prêta ses camions pour transporter le charbon, contre une main-d’œuvre étrangère mise à disposition gratuitement et quelques pelletées de charbon tout aussi gratuites ...
Les artistes au camp de Meslay-du-Maine
Des spectacles ont eu lieu dans le camp, organisés par les prestataires eux-mêmes.
A ce propos, le journal Ouest France rapporte dans son article du 27/05/2014 :
Beaucoup d'internés sont des intellectuels, qui organisent des spectacles pour tromper l'ennui.
Ils font part de leur incompréhension à leurs gardiens français dans une chanson au texte évocateur :
« Permettez-nous d'être vos amis
Les amis de votre pays
Et nous combattrons avec vous
Donnez nous donc des armes
Pourquoi nous retient-on ?
Sommes-nous donc des ennemis ?
Le destin ne nous a-t-il pas réunis ? »
Ces quelques autres vers d'un interné donnent une idée de l'absurdité de la situation, du drame intérieur qu'elle engendra et des conditions de l'internement :
« Il aura donc suffi d'un jour
Pour que s'écroule sans recours
Tout notre Paradis d'Amour !
Et pourtant la vie continue
Pleine de larmes contenues
Et le soir, l'ombre revenue
Estompe, pleine de douceur
L'écho des rires et des pleurs
Dont nous berçons notre malheur.
La boue fétide qu'on piétine
La pestilence des latrines
Tout ce qu'en nous l'on assassine
Et l'ignoble promiscuité
Nos pauvres gueules d'exilés
Et les fils de fer barbelés.
Tout ce dont nous souffrons sans cesse
Tout ce qui fait notre détresse
Tout ce qui nous rive et nous blesse
Ce qui fait que chaque matin,
Plus lourd nous semble le destin. »
La plus spectaculaire des manifestations culturelles, raconte Denis Peschanski dans sa thèse sur Les camps français d'internement (1938-1946), est « la réalisation d'une revue en seize tableaux, mise en scène par Charles Farkas, dirigée par le chef d'orchestre Egon Neumann (Pierre Neuville), la direction administrative ayant été assurée par Charles Schlick. Le tableau le plus spectaculaire présentait des hommes en blazers à rayures grises et blanches. Le commandant du camp fit semblant de ne pas reconnaître... les enveloppes de paillasses neuves dont le camp venait enfin d'être doté. »
Quelques cinéastes, musiciens et peintres
Joseph Than : c'est un scénariste et producteur américain d'origine autrichienne né le 26 juillet 1903 à Vienne (Autriche) et mort le 2 décembre 1985 à Los Angeles (Californie). Il est le scénariste du film "Paradis perdu" d'Abel Gance, réunissant Fernand Gravey, Elvire Popesco et Micheline Presle.
Ralph Erwin : C'est est un compositeur autrichien (ou allemand selon certaines sources), né Ralmund Erwin Vogl le 31 octobre 1896 à Bielitz (Silésie autrichienne ; aujourd'hui Bielsko-Biała, Pologne), assassiné en France le 15 mai 1943, au camp d'internement de Beaune-la-Rolande (Loiret). Il fut essentiellement compositeur de musique de film, mais composa également des chansons à succès et des opérettes.
Hans Hartung : il est né le 21 septembre 1904 à Leipzig, et décédé le 7 décembre 1989 à Antibes. C'est un peintre français, photographe et architecte d'origine allemande, l'un des plus grands représentants de l'art abstrait. Ses expérimentations artistiques extrêmement libres des années 1920 en font aux yeux de nombreux historiens et critiques le précurseur et le pionnier de nombreux mouvements d’avant-garde qui se développeront dans la seconde moitié du XXe siècle. (c) Wikipedia
Quelques œuvres réalisées par les artistes lors de leur internement au camp de Meslay-du-Maine
Ces œuvres furent récupérées par mon grand-père qui les sauva de la destruction.
Dessin réalisé par Erich KOLB, né le 10 mars 1910 à Vienne, architecte et peintre, qui fut peut-être le plus doué des artistes et dont la finesse du trait de plume n'avait de comparable que la fertilité de son imagination. Mon grand-père avait conservé de lui d'amusantes caricatures, dont un "Intérieur d'une baraque au camp du Meslay"
Portrait signé Helmut NIMEYER, né le 31 mars 1918 à Kizeberg, artiste peintre et également violoniste apprécié, qui peignait en larges touches et réalisait des portraits rudes et assez ressemblants, mais rarement flatteurs pour le modèle ...
Portrait de mon grand-père signé Maxim Vechke, né le 6 mars 1894 à Kiev, l'un des meilleurs artistes du camp (le capitaine Bertrand et mon grand-père posèrent pour lui dans le bureau de l'Unité).
Le sport
Les différents commandants qui se sont succédé à la tête du camp ont eu à cœur d'adoucir autant que possible les conditions d'internement des prestataires : "les sports tiennent une grande place dans les occupations des internés. Football, ping-pong, et tennis étaient pratiqués au camp , ou sous la surveillance de cadres français, sur des terrains des environs".
L'équipe de foot des internés du camp.
Anton Raab (en bas à droite sur la photo) était un jeune footballeur allemand qui a fui l’Allemagne nazie en 1937. Sélectionné en équipe nationale allemande juniors, il refuse d'effectuer le salut hitlérien lors d'un match à Stuttgart. Condamné à 15 ans d’internement, il s'échappe alors de la forteresse de Kassel. Après quelques péripéties, il se retrouve finalement en Bretagne à l’été 39 comme joueur professionnel au Stade rennais. Il ne jouera que quelques matchs dans ce club car il sera ensuite interné quelques jours à Vitré avant de rejoindre finalement le Camp de Meslay-du-Maine.
Mon grand-père a notamment permis la création d'un club de ping-pong, le PPCPM (Ping-Pong Club des Prestataires de Meslay) dont mon grand-père était le président ! Il est représenté en médaillon, en haut de l'affiche, entre les drapeaux.
Le hockey sur glace sans patins, sans crosse ni palet ...
Les amis
Augustin Chartier. Chargé de l'intendance alimentaire du camp, il a ensuite secondé très efficacement mon grand-père au moment délicat de l'organisation de l'évacuation du camp en juin 1940.
Mon grand-père lui en témoignait une grande reconnaissance et beaucoup d'affection et l’appelait "Mon petit Chartier" !
Le lieutenant Queinnec (à droite) : le médecin du camp et un grand ami de mon grand-père avec lequel il correspondra jusqu'à sa mort.
Albert Dubuc et le lieutenant Joubert.
Des amitiés se sont donc liées entre certains cadres dirigeant le camp : mon grand-père est resté ami, sa vie durant, avec le sergent-chef Augustin Chartier, grossiste négociant en denrées alimentaires à Laval, qui était chargé notamment de l'intendance au camp de la Poterie et qui a très efficacement secondé mon grand-père au moment de l'évacuation du camp. Il a également lié une relation amicale avec le docteur Queinnec, médecin du camp. Il a aussi noué des relations suivies au delà de la guerre avec la famille Brecheteau chez qui il logea pendant près de huit mois, durant son séjour dans la Mayenne, à la charcuterie / café / restaurant "la tête noire".
Mon grand-père n'a pas maintenu de contact, à ma connaissance, après la guerre avec des prestataires internés.
Albert Mary Dubuc (à gauche) en compagnie de la famille Brecheteau, chez qui il a été hébergé, à la Tête Noire, charcuterie / café / épicerie à Meslay-du-Maine.
Il a longtemps gardé des relations épistolaires suivies avec la famille Brecheteau.
Dans ce groupe, photographié sur le perron du château des Rochères, on reconnait au premier rang, de gauche à droite, le capitaine Fronval, le lieutenant Joubert, le capitaine Bertrand coiffé d'un béret, mon grand-père Albert Dubuc et le lieutenant Queinnec, médecin du camp.
On distingue au dernier rang, nu-tête, le grand ami de mon grand-père, Augustin Chartier.
80 ans plus tard, ici toujours sur le perron du château des Rochères, le 19 octobre 2019, l’association Histoire et Mémoire de Meslay-du-Maine et du Canton organisa une rencontre consacrée à l’existence des camps d’internement sur les sites des Rochères à Meslay-du-Maine et La Poterie à La Cropte, ainsi qu'une visite de chacun de ces deux sites.
Le destin d'un interné au camp de Meslay-du-Maine : Franz Stein.
Josephine et Franz Stein après la guerre en 1947, de retour à Vienne en Autriche
Franz Walter STEIN est né le 31 décembre 1908 à Teplice-Sanov, en République tchèque. Enfant, il habite en partie avec ses grands-parents en Bohême, l’ancienne Autriche, et en partie avec ses parents, à Vienne en Autriche. Il fréquente alors une école tchèque et oublie peu a peu la langue allemande.
Avec la prise de pouvoir de Hitler dans les années 30, le monde s’effondre pour Franz Stein. C’est seulement à cette époque qu’il prend conscience qu’il est juif, un fait qui n’avait pas d’importance dans sa vie jusqu’à présent. Du jour au lendemain, il perd son travail et n’a plus aucune chance d’émigrer à l'étranger.
Le 9 novembre 1938, le bruit se répand qu’il y aura un progrom. Franz Stein décide de se cacher au Kunsthistorisches Museum de Vienne, car pour lui, les musées sont des lieux et des points de rencontre sûrs. Quand il prend contact avec sa maman cette nuit-là, elle l'informe qu’il est convoqué à la police, sinon ce sera elle qui sera emprisonnée. Franz Stein se présente alors à la police et il est immédiatement incarcéré à Vienne.
Après deux semaines d'internement et d’interrogatoires dans de divers bâtiments publics, il est déporté au camp de Dachau, premier camp de concentration mis en place par le régime nazi en 1933.
Entassés à 800 individus sur des paillasses superposées sur trois nivaux dans des baraquements sommaires, malgré les humiliations et la torture, malgré deux appels quotidiens dans le froid, malgré le cruel travail forcé, il survit et est enfin libéré le 5 mars 1939.
Grace à une carte d’embarquement pour Shanghai que sa mère a pu se procurer, il a la permission de rentrer en Autriche, un territoire entre-temps occupé par les nazis. Franz Stein doit alors se présenter immédiatement au quartier général de la Gestapo et doit être expatrié. Il reçoit un nouveau passeport allemand et à son prénom sera accolé un deuxième nom - Israel, en tant qu'individu d’origine juive. De plus, il doit signer une déclaration par laquelle il s’engage à ne jamais revenir sur le territoire du Reich Allemand. Franz Stein voit ses parents pour la dernière fois à la gare de Vienne et monte dans l'Orient Express.
De retour de Dachau, un jour, il reçoit un courrier de ses amis réfugiés à Paris depuis 1935 qui lui transmettent des instructions pour fuir illégalement sans visa, en Suisse. Là, de nouvelles instructions seront déposées pour la poursuite de son trajet vers Paris, en grande partie à pied.
Jusqu’au début de la deuxième guerre mondiale, et pendant quelques mois, le jeune Franz Stein habite libre à Paris. Heureusement, il reçoit de l’aide du Matteotti Committee (représentant la Résistance Italienne) et du Réseau des Socialistes Autrichiens, réfugiés depuis plusieurs années dans la capitale.
Le 1er septembre 1939, tous les étrangers du Troisième Reich qui se trouvent sur le territoire français doivent être internés sur ordre des autorités françaises.
Franz Stein doit se présenter dans un stade de football, le Stade de Colombes.
Le 16 septembre 1939 il est transféré au camp des Rochères à Meslay-du-Maine.
Attestation de présence par le capitaine Bertrand de M. Walter Stein au camp des Rochères le 19 septembre 1939 et signée par le lieutenant JOUBERT.
Traduction allemande datée du 15 octobre 1939 de l'attestation de présence de M. Walter Stein au camp des Rochères le 19 septembre 1939.
Internés au camp des Rochères. Franz Stein est tout à droite de la photo.
En décembre 1939, à cause des conditions sanitaires catastrophiques qui règnent dans ce camp, il sera transféré au camp de La Poterie, dans un bâtiment agricole où il restera jusqu'à janvier 1940. Il écrivit à ce sujet : "100 d'entre nous ont été transférés dans des granges".
Franz Stein raconte : "je pense qu'à cause d'une erreur ou d'une similitude de nom, j'ai été transféré à Damigny ", c'était en janvier 1940. Depuis le camp de Damigny, il écrit une lettre à un ami interné à Meslay-du-Maine - un camarade socialiste aussi - et compare ses conditions d'internement à Damigny et de Meslay et lui donne des nouvelles de leurs amis communs internés :
"Comme tu m'avais déjà annoncé, j'ai bien reçu un sac avec 2 pantalons, 6 couvertures et 40 cigarettes anglaises. Je te remercie du fond du coeur. On a tout distribué. Nous avons envoyé 3 couvertures à Meslay-du-Maine. Le lendemain, j'ai reçu 50 frs avec lesquels je ne sais pas quoi faire, il ne sont pas à moi. Envoyez-moi une explication svp ! ... "
Franz Stein au camp des Rochères à Meslay-du-Maine (au milieu du groupe, debout).
Franz Stein sera transféré le 16 septembre 1939 au camp de la Poterie où il sera logé dans un bâtiment agricole de la ferme de la Poterie.
Un jour, Franz Stein reçoit un message avec son assignation sans délai à une Force Expéditionnaire Britannique à Saint Nazaire. Il sera alors un fier membre du 8ème Régiment du Royal Engineers. Au moment du retrait de Normandie des forces anglaises, il réussit à s’enfuir avec 10 autres amis soldats en zone libre, à Montauban qui pendant sept années sera son "village du destin".
De 1940 jusqu’à 1947 il habite, la plupart du temps caché, dans une ferme abandonnée dans la région du Tarn-et-Garonne, .
A cette époque là, il rencontra sa future épouse, Joséphine, qui arriva elle aussi à Montauban en juin 1940. Tous les deux travaillèrent comme personnel de maison et jardinier à la villa Beau-Soleil, aux environs de Montauban.
En 1941, ils eurent un bébé, une petite fille du nom de Colette Lucienne Valérie. Au début de 1942, ils reçoivent de faux papiers aux noms de François et Joséphine (surnommée "Fini") LORAND et sont ainsi transformés en couple d’origine Alsacienne, car c’est la seule explication pour leur étrange accent.
Fini, Franz et Colette Stein (probablement devant la villa Beau-Soleil aux alentours de Montauban en 1942)
Sans l’aide de la Résistance qui leur procura des faux papiers et de plusieurs familles françaises qui les cachèrent régulièrement à des adresses différentes, la petite famille n'aurait pas survécu en ces temps de péril. Il y a eu deux comités qui aidèrent énormément les réfugiés - les Quakers et l’Union Générale des Israélites en France (UGIF).
La guerre continue.
À la libération, à partir de 1944, la famille est aidée par des amis exilés aux États-Unis. Franz Stein essaie - avec quelques succès – de fabriquer des jouets, mais à long terme, cela ne sera pas suffisant pour faire vivre la famille.
Franz Stein et son épouse Joséphine avec leur fille Colette alors âgée de cinq ans au centre-ville de Montauban, en 1946.
En 1947, alors que la guerre est terminée, la famille Stein décide de revenir en Autriche. Vienne n’est plus la même ville. Franz Stein apprend que sa mère a été déportée et qu'elle a disparu en Pologne. Son père a été fusillé à Belgrade et presque 100 parents proches ont été exterminés.
Ces écrits ont été rédigés par Mme Tina Bachmann (petit-fille de Franz Stein)
le 31 décembre 2020.
(Photos et documents reproduits avec l'aimable autorisation de Mme Tina Bachmann)
Fragments du journal Anglais "The Illustrated"
Extraits d'un article du 12 janvier 1941 intitulé "Vichy Concentration Camp" du magazine anglais "The Illustrated" relatant les conditions de vie dans les camps de prestataires internés de Vichy.
(documents de Mme Tina BACHMANN)
Quelques liens :
Les camps d'internement en France (WIKIPEDIA)
Camp de Meslay-du-Maine (APRA)
Les camps de concentration Allemands, 1933-1939
Le camp de Dachau
Le camp de prisonniers de Damigny
Journée de commémoration des 80 ans du camp de Meslay-du-Maine (Article Le Courrier du Maine)
Doctorat d’Etat de Denis Peschanski
Camp de Meslay-du-Maine Les Rochères durant la Seconde Guerre mondiale (AJPN)
Mémoire Normande (Normandie Images)
Mémoires Canaris (l'histoire du FC Nantes)
Parcours d'Anton RAAB
Wikipedia (Anton RAAB)
Treillères (biographie d'Anton RAAB)
Site de M. Jean-Michel Wachsberger consacré au destin de son grand-oncle paternel, Leo CAHN né le 23 juin 1903, interné au camp de Meslay-du-Maine le 18 septembre 1939, probablement évacué en juin 1940 vers Angers, puis vers Albi, avec les derniers prestataires internés restants au camp de la Poterie, devant l'avancée des Allemands en zone libre.
Le 25 aout 1942, il sera arrêté à Pibrac, près de Toulouse et ensuite déporté au camp d'Auschwitz où il décédera le 31 décembre 1943.
Si vous détenez des documents (photos, dessins, lettres, écrits divers) relatifs à cette période, n'hésitez pas à me contacter (formulaire de contact en haut de la page) !
Avec le concours de Normandie Images
PRS - Atrium
115 Boulevard de l'Europe
76100 Rouen
Association Histoire et Mémoire de Meslay-du-Maine et du Canton
Mairie, 10, avenue de l’Hôtel de ville
53170 Meslay-du-Maine
Remerciements :
André BOURDAIS, association Histoire et Mémoire de Meslay-du-Maine et du Canton
et les membres de l'association,
M. POULAIN Jean-Marc, Maire de Meslay-du-Maine,
M. et Mme LUCAS,
Écrits, documents et photos de Mme Tina BACHMANN (petit-fille de Franz Stein)
Les familles CHARLOUX-DUBOIS du château des Rochères,
M. et Mme RAFFEGEAU de la ferme de la Poterie, à La Cropte,
Stéphane TISON, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université du Mans,
Agnès DELEFORGE, Normandie Images Rouen,
et les habitants de Meslay-du-Maine.
Ce site est dédié à mon grand-père Albert Mary DUBUC et à mon père Jean DUBUC
(c) Gilles Dubuc - octobre 2019 / [email protected]
Site en évolution (dernière mise à jour : 24/08/2024)
NB : Pour un meilleur confort de lecture, une résolution d'écran de 1024 x 768 minimum est souhaitable.